mercredi 18 juillet 2007

L’épopée

Je ne vous ferai pas plus languir, les enfants, vous qui, je le sais, dépérissez sans votre dose de blog. A l’heure qu’il est, coincée dans mon café avec un WiFi qui ne marche pas, plus de sous ni de réseau sur mon téléphone pour envoyer une vanne à un tout jeune diplômé et de surcroît rendue mollassonne par les 36 degrés à l’ombre qui sévissent dans la capitale Orange, je trouve le moment idéal pour poursuivre le récit de mon voyage.

Un couple Arlequin

Me voilà donc tant bien que mal installé sur mon demi-siège, dans le petit bus brinqueballant qui me mène à Varsovie. Heureusement, le temps est passé vite car s’en est suivi une discussion animée et rieuse, toujours en globish, avec le petit couple qui se partageait le siège et demi restant. De drôles de cocos, ces deux-là, leur histoire est digne d’un roman Arlequin. Le monsieur est mexicain, la demoiselle polonaise, ils se sont rencontrés sur internet. Lui a quitté mère, père et boulot pour venir la rejoindre à Lodz, ils prévoient de se marier et d’aller s’installer en Italie, où la jeune fille (de mon âge) avait fait ses études… En les écoutant me raconter avec les yeux qui brillent leur première rencontre à l’aéroport, je me suis dit que certes, ils vivent encore la période d’état de grâce des couples qui se sont désirés longtemps sur MSN avant de se voir en chair et en os, que le fossé culturel, la confrontation avec la vie quotidienne ou tout simplement la « descente » qui suit la période euphorique du début de relation a de grande chance de les faire déchanter très vite, et que le retour à la réalité risque de faire mal. N’empêche, ils en ont de la chance, ces deux bougres. Ils auront au moins ça à raconter à leurs petits-enfants, l’hébétude de la famille mexicaine lorsque le jeune homme les a avisés que non, il ne partirait pas finir ses études au Canada mais à Lodz, en Pologne, et leur stupeur lorsqu’il leur a annoncé au bout de deux semaines que non seulement il ne rentrait pas mais qu’il allait se marier et vivre à Milan…

Étals à poisson et vicissitudes de la langue slave

Une fois arrivée à Varsovie, je souhaite bonne chance à mon petit couple Arlequin et j’aborde une longue et hostile journée. Mon rendez-vous professionnel, le premier, le vrai, tout en russe, se passe plutôt pas mal. Pas de patrons a qui je montre sans le vouloir mes dessous, mais une dame polyglotte, très pédagogue, presque maternelle, qui me dit de bien faire attention avant de partir à Kiev, que là bas c’est pas comme en France (sans blague ?). N’empêche, je me rends compte que j’aurais dû mieux préparer mon entretien, parce que j’ai eu l’air un peu bête lorsque j’ai pataugé dès la première question « quelle est l’activité de votre entreprise » à chercher désespérément des périphrases pour les mots « inox », « équipement », « étal à poisson » dans la langue de Pouchkine…

Je passe le reste de la journée à promener mon cul sur les remparts de cette drôle de ville, au centre-ville flambant neuf, très moderne, mais avec quand même des troupeaux d’unijambistes qui mendient dans les gares.

L’étrange affaire du barbu sur le quai

Il s’est passé un drôle de phénomène sur le quai de la gare de Varsovie, au moment de l’arrivée du train de nuit pour Kiev, un événement assez inexplicable. Un jeune barbu qui me dévisageait depuis une ou deux minutes s’approche de moi et me dit (en français) : « T’es française, non ? Tu étais à Moscou l’an dernier ? »… Là, pour le coup, je n’en suis pas revenue. Évidemment, son visage ne me disait rien du tout, mais après une discussion d’une demi-heure dans mon compartiment, je me souviens effectivement d’un Suédois (car s’en est un !) francophone croisé à une soirée une fois à Moscou, en avril ou mai de l’an dernier, avec qui je n’avais pas échangé plus de deux mots, mais qui m’avait paru particulièrement branleur. Et il m’avait reconnue, malgré mes cheveux courts, mon tailleur, et le changement radical de contexte (car je n’ai pas tout à fait la même tête éméchée à une soirée moscovite et exténuée après une journée de voyage à Varsovie, le tout à un an d’intervalle…). Après cette rencontre, je ne l’ai pas revu. Et je pense tout de même que, parfois, il y a des trucs chelou qui se passent.

Olga la brune

Comme vous le constatez, ce voyage a été riche en rencontres. La dernière a été Olga, ma compagnonne de voyage dans le train. Elle revenait d’un séjour en Pologne, pour, m’explique-t-elle, voir son ami, un homme d’affaire anglais de vingt ans son aîné, qui est très gentil parce qu’il lui offre des cadeaux mais qu’elle songe à quitter car il n’a probablement pas de projets de mariage. En fait, du haut de sa trentaine bien proportionnée, cette belle brune me raconte que depuis quelques années, elle se cherche activement un mari sur internet, de préférence anglais, ils sont plus calmes. « Les Ukrainiens sont des saoûlards sans le sou qui finissent toujours par de frapper. Je ne veux pas de cette vie-là ». Elle vient d’un petit bled du sud-est de l’Ukraine, enseigne l’anglais pour des clopinettes et s’est acheté un appartement avec les économies faits sur les cadeaux de ses généreux amis. En parlant avec elle, je me rends compte que toutes ces annonces matrimoniales Google, qui vous propose d’épouser une belle Ukrainienne dès que vous tapez « pays de l’est » dans le moteur de recherche, cachent aussi cette réalité. Je l’ai d’autant plus senti lorsque, me questionnant sur la France comme le faisait aussi Ania, elle conclut que finalement j’ai bien de la chance de pouvoir choisir mon homme « iz-za liubvi, a nie iz-za doxoda » (par amour, et non pas en fonction de ce qu’il gagne ---là dessus moi je dis, les deux, c’est mieux, hein Rémi… ☺ ). Je n’avais jamais considéré les choses sous cet angle, mais maintenant qu’elle le dit, je me demande ce que j’aurai fait de ma vie si j’étais moi aussi issue d’un bled isolé, pauvre, avec des hommes qui boivent et des conditions de vie pourries. Cette rencontre marquante est une belle entrée en matière, une introduction poignante pour ce séjour ukrainien que j’attaque…

2 commentaires:

Alcibiade a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Yoël a dit…

ça commence vraiment à prendre l'allure d'un roman russe sans queue ni tête de poisson, j'attends avec impatience que ce journal de voyage tende à devenir une nouvelle à la "Diableries" de Gogol.
Peux etre recroiseras tu le Barbu dans tout les voyages de ta vie, à Samarkand, à Tahiti, à Johannesbourg et San francisco, il sera là comme le K de Buzzati.